La réanimation pédiatrique, entre cauchemar et espoir



Je m’étais dit que je ne voulais pas écrire de choses pas très gaie sur ce blog tout beau tout neuf… mais maintenant elles font parties de notre vécu. C’est aussi une réalité, qu’on ne souhaiterait jamais connaître et que je ne souhaite à personne de vivre.  Ce sont des choses qu’on tait, qu’on espère oublier mais en même temps, c’est aussi une partie de l’histoire de Monsieur A. Je vous la livre, non sans pudeur.

Monsieur A a passé 3 semaines et demi à la naissance puis 1 mois et demi après son opération de raccordement de l’œsophage (anastomose) à l’Unité de Réanimation Infantile et Pédiatrique (URIP) du CHU de Reims. Pendant des semaines après la sortie de l’hôpital de Monsieur  A, je continuais à entendre les sonneries des machines, à rêver la nuit que j’errais dans les couloirs de l’Unité.
Ce milieu nous était tellement inconnu, et d’un seul coup, nous avons fait une grande plongée.
Nous avons passé cette fameuse porte en verre automatique… . Celle de l’Unité de Réanimation Infantile et Pédiatrique. Réanimation… ; « Ranimer » : faire revenir à lui quelqu'un qui a perdu conscience, ou rétablir chez lui, par la réanimation, les fonctions vitales suspendues (définition du Larousse).

Après l’interphone, par lequel on doit s’identifier, sur la droite en arrivant, le vestiaire, il faut s’équiper, sur-chaussures et blouses au minimum, se laver les mains en suivant un protocole strict.
Les sonneries des perfusions, des écrans indiquant la fréquence cardiaque, la saturation, la fréquence respiratoire… .
Un cauchemar éveillé.
Monsieur A a donné du fil à retordre aux médecins de réanimation pédiatrique, mais heureusement, ils sont parvenus à le soigner. Tous les enfants n’ont pas cette chance.
Il y a d'un côté tous ces petits bébés prématurés, aux petites vies tellement fragiles, et de l'autre, des enfants victimes d’accidents graves, de violence, atteints de maladies graves.
Alors, quand on est auprès de son enfant, dans ces petites chambres suréquipées en matériel médical, et qu’une infirmière vient baisser les stores sous prétexte de devoir transporter du matériel et vous demande de ne pas sortir de la chambre pendant quelques minutes… vous comprenez rapidement que ce n’est pas du matériel qui est déplacé… .
Dans ma mémoire, gravé à jamais, une famille dont l’enfant avait été renversé par un chauffard… . Il n’a pas pu être ranimé par les équipes. Toute la famille, éplorée, prie et défile dans l’Unité, jusqu’à ce que le petit soit complètement débranché. C’était un dimanche soir, une ambiance de chaos. Le petit garçon reposait dans la chambre voisine de Monsieur A.
Il y a aussi ce nouveau né, qui est en train de perdre la vie, et que les médecins ne peuvent sauver. La famille, désespérée, est en pleurs. C’était le jour où Monsieur A a été opéré, pendant 6 heures.
L’horreur, la peine, l’impensable, l’insoutenable… perdre un enfant. Dans ces moments là, voir son enfant respirer, même dans des conditions difficiles, vous apporte tellement de réconfort.

La mort… mais aussi l’espoir et la vie… de cette jeune fille écrasée par un tracteur dans une campagne aux alentours. A 3h du matin, j’ai vu la chirurgienne de Monsieur A rentrer dans sa chambre et me demander ce que je faisais encore là… Rappelée, elle venait, avec un autre chirurgien,  chacune dans leurs spécialités, la chirurgie viscérale et l’orthopédie, de sauver la vie de la jeune fille.
Le lendemain, j’ai croisé les parents, choqués, abasourdis, dans le vestiaire. J’ai échangé quelques mots avec eux… et suivre un peu le parcours de leur fille, sortie de l’hôpital avant Monsieur A.
La vie de ces prématurés, parfois d’à peine 1 kg et croiser les parents dans le vestiaire, jusqu’au jour où ils sont tellement heureux de vous dire qu’ils rentrent à la maison avec leur bébé, pour la première fois.
La vie de Monsieur A, après son grave malaise, 3 jours après sa naissance, dû à une péritonite causée par un décrochement de la gastrostomie (c’est le dispositif permettant une nutrition entérale quand on ne peut se nourrir). S’entendre dire que son enfant a une chance sur deux de s’en sortir, que son pronostic vital est engagé… . Attendre dans la « salle des patiences » à côté de la porte de verre de l’entrée, cette salle qui porte si bien son nom; ça me faisait penser aux "salles des pas perdus" que l'on trouve dans les tribunaux… ; insupportable attente ! Et voir arriver le médecin et le chirurgien esquissant un sourire et comprendre, avant même qu’ils aient prononcé un seul mot, que l’opération a réussi… . Se sentir la plus heureuse du monde ! Une re-naissance.
Il y a cette petite fille, presque du même âge que Monsieur A et qui a elle aussi une atrésie de l’œsophage. On sympathise avec les parents. Nous les croisons maintenant régulièrement avec plaisir dans les couloirs de l’hôpital. Copains de galère.

Mademoiselle C et Mademoiselle T, les grandes sœurs ne sont pas beaucoup venues rendre visite à leur petit frère pendant ces périodes. Nous trouvions que certaines images pouvaient être difficiles pour des enfants. Il faut expliquer, anticiper leurs questions, tenter de les rassurer sans leur dire que tout va bien.

Les médecins et les infirmières, que nous  n’oublieront jamais. L’URIP est organisée de  manière à ce que les équipes sont localisées, au centre, prêtes à intervenir. Chaque infirmière a en charge 1 ou plusieurs enfants suivant la quantité des soins nécessaires. Les enfants sont « scopés », c'est-à-dire qu’on leur pose à leur arrivée des capteurs mesurant la fréquence cardiaque, la fréquence respiratoire et la saturation. Les capteurs sont reliés à l’écran de la chambre, mais aussi à un écran central, toujours veillé par une infirmière. Dès que l’état d’un enfant se dégrade, les capteurs sonnent et l’alarme est déclenchée sur l’écran. C’est pour cela, que régulièrement, on peut voir des infirmières courir dans les chambres.

Elles sont admirables. Elles avaient customisé à Monsieur A un petit cahier de vie, comme à la crèche. Quand je suis arrivée le matin de ses 3 mois, Monsieur A était encore intubé, sur son lit, une jolie photo souvenir et l’emprunte de ses petits pieds. On est tellement le nez dans le guidon,  qu’on perd complètement ses repères, on n’agit plus forcément de façon rationnelle, on perd la notion du temps. Les infirmières sont là aussi pour nous guider dans cette obscurité, au sens propre, comme au sens figuré, les chambres sont très sombres. Un monde parallèle où chaque enfant se bat pour sa vie.
 
De jour, comme de nuit : à l’URIP, les parents ne peuvent dormir dans les chambres, ce qui se comprend facilement car les équipes de réa doivent pouvoir avoir la place pour intervenir le plus vite possible. Alors, toutes les nuits, dès que je me réveillai, j’appelai pour avoir des nouvelles de Monsieur A, et à chaque fois, je pouvais parler avec l’infirmière en charge de Monsieur A, qui me répondait avec bienveillance et sans mensonge. J’ai plusieurs fois pris la route en pleine nuit pour retourner auprès de mon bébé. Être auprès de lui me réconfortait, je m’imaginais le pire lorsque je n’y étais pas. Elles m’encourageaient à rentrer me reposer, à manger, me faisaient la leçon de morale, m’ont menacé en rigolant de me perfuser…malgré tout, c’était au dessus de mes forces.
Si j’ai pu par moment leur en vouloir de les entendre rire, manger, discuter, continuer à vivre normalement alors que ça n’allait pas très fort pour Monsieur A, j’ai vite compris que c’était nécessaire dans un tel service. Il faut avoir un mental d’acier pour y travailler. On ne peut qu’avoir un grand respect pour ces anges gardiens.
Céline, Lise, Caroline, Florence, Sylvie, Aurélie, Lætitia… .

Les médecins, malgré la complexité des pathologies, restent disponibles et prennent le temps de vous expliquer les choses. Pour moi, ce sont des héros. Ils sauvent des vies, des vies d’enfants de surcroît.

LLC





Monsieur A, le jour où il a quitté l'URIP, un énorme soulagement !




Commentaires

  1. C'est étonnant comme à la fois le parcours de chaque enfant est si différent mais que le vécu, le ressenti de chaque parent est tellement similaire, notre propre parcours / séjour à l'URIP de Reims ne remonte qu'à ce mois de mai 2017, déjà si loin et à la fois si proche quand je lis votre témoignage... Urip, soins intensifs, néonat, un parcours que l'on ne souhaite à aucun enfant ou aucun parent évidemment, mais combien o combien tant de parents ne peuvent imaginer ce que l'on a traversé... Lise, Justine, Emmanuelle, et tant d'autres,jamais nous ne leur serons assez reconnaissants. Merci à vous également pour ce témoignage !

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Je vous remercie pour votre message. Effectivement ce sont des moments gravés à vie dans la mémoire des parents qui sont passés par là. Ecrire ce que nous avions vécu m'a beaucoup aidé. J'espère que votre enfant va mieux maintenant.

      Supprimer

Enregistrer un commentaire

Articles les plus consultés