Une histoire de plomberie humaine





 Comme vous l’aurez peut être sûrement compris, Monsieur A est né avec une atrésie de l’œsophage (AO) de type 1, je rappelle que c’est l’œsophage qui est interrompu sur une longue distance et donc qui n’est pas connecté à l’estomac.

Petit cours d’anatomie pour les nuls : 


L’œsophage est le conduit qui fait communiquer la bouche avec l’estomac. Cet organe appartient au tube digestif et se situe à l’arrière de la trachée.
La trachée relie la bouche et le nez aux poumons.
L’œsophage, la trachée, les bronches et l’estomac se constituent in utero (dans le ventre de la mère) au même moment (les enfants AO ont souvent des malformations associées, conjointement à celle de l’œsophage).
L’AO apparaît entre la 4ème et la 5ème semaine de grossesse au cours de « l’assemblage » de ces organes, plus précisément au cours du développement de l’arbre trachéobronchique.
La malformation apparaît lorsque la «séparation » entre les ébauches respiratoires et œsophagiennes se fait. L’organisme choisit de construire en priorité la trachée et les lésions se portent alors sur l’œsophage, l’AO se développe.
 A gauche, un œsophage "normal", à droite, une atrésie de l’œsophage.

Ahhh les mystères de la vie !!!
L’AO est en principe visible à l’échographie car on ne voit pas ou très peu l’estomac du bébé. Et oui, c’est logique, il ne peut pas avaler le liquide amniotique, donc son estomac ne se remplit pas. En contrepartie, il y a une accumulation de liquide amniotique dans le ventre de la maman… on appelle ça « une citerne" … oui c’est pas très glamour mais ça représente bien la chose ! En tout cas, ça devait faire une sacrée piscine pour Monsieur A ! 

Il existe différentes sortes d’AO, la type 3 est la plus fréquente (environ 80% des cas), elle se "répare" par opération à la naissance et la type 1 (environ 10% des cas), c’est celle de Monsieur A.
Comme le bébé ne peut pas se nourrir, il est en grave danger, alors on lui pose très rapidement un système qui va permettre de le nourrir directement par l’estomac. Ca s’appelle une gastrostomie, dit de manière moins scientifique, on fait « un trou dans l’estomac » et on y met une sonde reliée à l’extérieur dans laquelle on va passer le lait.
Et ensuite… on attend… ; dans le cas de Monsieur A et des types 1, l’écart entre les 2 morceaux d’œsophage est trop important pour être réparé tout de suite. (Et monsieur A a fait une grave complication (rare elle aussi !) après la pose de la gastrostomie, qui l’a conduit en réanimation pédiatrique avec pronostique vital engagé).
Mais on attend quoi ? Le bébé grandit, ses organes aussi, et donc les bouts d’œsophage aussi… . Et c’est ce qui s’est produit pour Monsieur A. Après plusieurs examens (comme les opacifications : on injecte un produit de contraste qui réagit à la radio), le chirurgien s’est aperçu que l’écart entre les deux bouts d’œsophage s’était réduit.
Lorsque ce n’est pas le cas, il faut envisager la greffe, ça se fait souvent avec une partie de l’intestin ; c’est complexe, mais ça se pratique.
Donc, l’écart s’est réduit mais l’œsophage est toujours interrompu.
Cette fois, le grand jour de l’opération est arrivé, impossible d’y échapper. Le chirurgien va opérer et va réaliser une anastomose quelques jours avant les 3 mois de Monsieur A.
Une anastomose, c'est un acte chirurgical qui consiste à suturer (coudre) les extrémités de deux organes.
L’opération se fait sous anesthésie générale. Le chirurgien fait une ouverture de quelques
centimètres au niveau du côté droit de la poitrine du bébé, sous l’aisselle à peu près. Ca s’appelle une thoracotomie. Bon pour la suite, je vous laisse imaginer ... ou pas. 


 Sauf que là, c'est pas un film...

 Le chirurgien tire sur les 2 extrémités de l’œsophage les dissèque, puis les coud pour les rassembler.
Inutile de préciser que c’est une opération très lourde, car elle se situe à proximité des poumons et des voies respiratoires.

Un peu d’histoire :

L’atrésie de l’œsophage a été observée pour la première fois en 1670 en Angleterre par un dénommé Durston. La première tentative de cure chirurgicale a lieu en 1888 (C. Steele), cependant, l’atrésie est plus longue qu'il ne le croyait et la procédure est abandonnée.

Il faudra attendre 1936 pour que soit réalisée la première anastomose par thoracotomie, par Simpson-Smith au Great Ormond Street Hospital à Londres. L'enfant ne survécût pas à l'intervention.

C’est en 1941 que 2 chirurgiens (Haight et Towsley) réalisent la première anastomose œsophagienne avec succès et survie de la patiente, chez une petite fille âgée de 12 jours au moment de l'intervention. Ainsi, cette malformation digestive incompatible avec la vie est devenue accessible au traitement chirurgical. Le taux de survie est alors de 52% .

Ensuite, les techniques chirurgicales s’affinent donnant de plus en plus de chance de survie aux petits patients comme l’utilisation des caméras (thoracoscopie) qui permet une intervention moins invasive.

Les complications post-opératoire sont fréquentes. L’intervention a valu à Monsieur A de graves complications pulmonaires : pneumothorax (décollement de la plèvre), pleurésie avec épanchement (inflammation de la plèvre) et comme ça ne suffisait pas il a attrapé une grave infection… . Ce qu’on a surtout retenu, c’est que son poumon droit était blanc aux radios, ça signifie que l’air ne passait pas. Monsieur A était sous assistance respiratoire.
Et je vous épargne une extubation échouée avec réintubation quelques heures après, qui a causé un œdème de la glotte.
Mais c’était sans compter sur la force de Monsieur A, qui s’en est sorti au bout de plusieurs semaines de réanimation pédiatrique. N’oublions pas que ce sont des enfants extrA Ordinaires.


 Monsieur A s'est battu comme un vrai mousquetaire!

Bon et bien maintenant qu’il a été opéré, c’est bon, tout va bien ! 

 Le cri, d'Edvard Munch

 c’est souvent ce que j’entends, en fait… ;
Euhhh, ce n’est pas si simple quand même… .
-         -  La première chose après l’opération, c’est qu’il faut apprendre à manger… à un bébé de plusieurs mois. Pour beaucoup ça s’avère impossible, du moins au début, les enfants rejettent biberons, cuillères, ne supportent pas d’avoir de la nourriture dans la bouche. Donc ils continuent à être nourris par gastrostomie, jusqu’à temps que le déclic vienne, ça peut prendre des années. Nous avons une énorme chance car Monsieur A a tout de suite accepté le biberon. Petit à petit, sans le brusquer et avec de la patience, nous sommes arrivés à ce que Monsieur A mange quasi-normalement pour un enfant de son âge (12 mois).
 Jean François Millet, La Becquée, XIXeme siècle

-         -  Vous prenez un élastique, vous tirez dessus de chaque côté, qu’observez vous ? La largeur de la partie centrale se réduit. C’est physique. Et bien, c’est exactement ce qu’on a fait avec l’œsophage. Et c’est souvent une complication qui apparait après l’opération. Ca s’appelle une sténose. L’œsophage se rétrécit au niveau de la suture et les aliments restent bloqués.
Dans ce cas là, il faut aller dilater. Sous le contrôle d’une caméra (endoscopie), on descend des ballonets qu’on gonfle pour agrandir le passage.
Monsieur A en a déjà eu 2. C’est censé s’arranger en grandissant mais les sténoses peuvent récidiver.

-        -  Différents troubles sont également fréquents et peuvent apparaître longtemps après l’opération : la motilité de l’œsophage (sa capacité à se contracter pour faire descendre les aliments) peut être altérée ; le Reflux gastro-œsophagien : le contenu acide et alimentaire remonte dans l’œsophage, puis vers la bouche ce qui entraîne des brûlures œsophagiennes et régurgitations. Ces attaques acides favorisent l’apparition ou la récidive des sténoses et entraînent des œsophagites (ulcères de l’œsophage) ; difficultés digestives et alimentaires diverses. Des troubles respiratoires.

Ce sont des enfants qui sont suivis de très prés dans les premières années, qui doivent retourner régulièrement à l’hôpital pour y subir des examens. Ca s’améliore avec l’âge mais les adultes doivent eux aussi être surveillés, surtout quand des troubles apparaissent.

Je dois rajouter que malgré tout, Monsieur A, n’a à priori, pas d’autre malformation associée.

Actuellement il va très bien, malgré quelques petits séjours réguliers à l’hôpital, et lorsqu’on le croise, difficile de croire à son histoire.
Alors on profite de cette accalmie après une première année de vie périlleuse, accrochée à un fil.
Et on essaie, par notre témoignage d’apporter notre aide aux parents dans la même situation, grâce à l’association française de l’atrésie de l’œsophage. AFAO. (http://afao.asso.fr/)

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Commentaires

  1. Tout ces appareils, cette machinerie, ces bruits, ces regards du corps médical dont on comprend très vite ce qu'ils signifient...et puis ce bébé..notre bébé qui se bat au milieu de tout ça, pour vivre..alors on le touche, on le caresse, on lui parle...on lui dit qu'on est là...qu'on l'aime...et puis un peu plus tard on emmène à l’hôpital des fraises et des violettes... pour qu'il les sente...parce que dehors il y a ces odeurs...et bientôt dans ses petites mains...des violettes de la chaumière...et des fraises...

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