Habiter dans une cité-jardin à la française en 2017 à Reims






Je voulais écrire un article sur un quartier historique de Reims:  mes grands parents s’y sont installés dans les années 60, mes parents dans les années 1980 et nous, dans les années 2000 après avoir un peu vadrouillés.
Il s’agit du quartier Charles Arnould, ancienne cité-jardin des Trois Fontaines. Reims a été la première ville de France a être dotée de cités-jardins et reste un exemple en matière d’urbanisme et d’architecture.



C’est un anglais, Ebenezer Howard, qui est à l’origine des « garden city » en Angleterre. Le projet de construction de petits logements boulevard Charles Arnould débute vers 1913, à la suite d’une visite des élus locaux rémois en Angleterre. Le projet est arrêté avec le début de la première guerre mondiale.
Durant les derniers mois de la guerre, en 1918, la mairie de Reims, bien qu’évacuée à Paris, lance un concours auquel participent vingt équipes d’architectes. Il s’agit de reconstruire une ville qui possédait 120 000 habitants au début du conflit et se trouve détruite à 80 %. Les conditions de logement sont particulièrement déplorables pour les familles nombreuses ouvrières, qui s’entassent à 6, 7 et plus dans une seule pièce. Les maladies font des ravages comme le cholera, la tuberculose et nombreux sont encore les décès de nourrissons.
 Les différents projets prévoient souvent des cités-jardins en périphérie. Parmi ceux-ci figurent séparément ceux de l’architecte parisien Jean-Marcel Auburtin et du paysagiste rémois Edouard Redont, associés préalablement dès 1915 avec Alfred Agache dans la rédaction de l’ouvrage Comment reconstruire nos cités détruites qui sera une des « bibles » de la reconstruction.


Quand la reconstruction débute, il n’est plus question de petites cités-jardins, comme cela avait été envisagé en 1913, l’ampleur des destructions nécessite la création rapide de logements en dur pour remplacer les baraquements provisoires en bois qui abritent les Rémois revenus et les ouvriers qui déblaient la ville des gravats, avant de procéder à sa reconstruction.

La cité des Trois-Fontaines ou Charles Arnould est la plus importante, après celle du Chemin vert. Au départ, elle est située à cheval sur les deux communes de Reims et de Saint-Brice-Courcelles. Œuvre de l’architecte rémois Jean de la Morinerie elle se présente, pour la première tranche de 220 logements, sous la forme de maisons en bande ou jumelles de style breton ou normand, de commerces au rez-de-chaussée des maisons du boulevard Charles Arnould, d’un petit centre commercial. Un terrain de jeu est aménagé au centre de la cité où un ilot est réservé aux commerces d’alimentation avec des types de construction spécifiques. Une série de garages pour les voitures est installé le long du boulevard Charles-Arnould ainsi que des pavillons réservés aux artisans ou petits boutiquiers, le boulevard étant l’artère la plus fréquentée du quartier. Les logements sont pour la plupart loués immédiatement après leurs constructions. 1000 personnes pourront être logées.
En général toutes les habitations de la cité comportent un porche d’entrée, c’est un élément qui apparait important pour l’architecte comme espace de socialisation plus intime que celui de la rue hors de l’habitation privée. Cet espace est aussi utilisé, à l’époque, pour le nettoyage des vêtements, chaussures.

La façade principale est sur rue et au 1er étage, les habitations d’angle bénéficient de loggias.
La plupart des types imaginés par de la Morinerie comprennent quatre logements. Chacun d’eux est aménagé comme suit : à l’entrée, le porche, puis un vestibule donnant accès au fond sur la buanderie et les toilettes, sur l’escalier menant au 1er et sur la salle commune de 18 mètres carrés. La cuisine est au-delà de la salle commune et reliée avec elle par une grande porte large. La salle commune est alors considérée comme un salon salle à manger. Les chambres sont au 1er étage, deux ou trois chambres selon le logement, les deux logements des extrémités n’en comportent que deux. Chacun a une cave au sous-sol. Les revêtements de sol sont en granitos pour les pièces du rez-de-chaussée, en parquet de chêne dans les chambres et l’escalier. Ces matériaux sont robustes et faciles à entretenir.
Toutes les maisons sont surélevées de trois marches et construites en moellons et en briques creuses.
Les façades sont agrémentées de plantes grimpantes pour leur donner le meilleur aspect possible. Ce sont souvent des rosiers, qui subsistent encore parfois aujourd’hui.
Au centre de la cité se trouvent cinq magasins disposés en triangle et réunis dans un même bâtiment doté d’une cour intérieure qui permettait l’approvisionnement des commerçants par l’arrière. Ces cinq boutiques permettent aux habitants de ne manquer de rien et de ne pas avoir à se déplacer en dehors de la cité.
Aujourd’hui ces commerces d’alimentation ont disparu et ont laissé place à un cabinet de kinésithérapie et un vétérinaire.

Les maisons pour boutiquiers et artisans sont aussi à part, elles se situent toutes le long du boulevard Charles-Arnould ; leur particularité est qu’en plus des pièces à vivre chaque logement comporte un magasin ou un atelier au rez-de-chaussée avec vitrine. A l’époque de la construction, des tailleurs, cordonniers, relieurs s’y étaient installés. Il ne reste aujourd’hui plus aucun de ces commerçants. 



Chaque logement dispose d’un jardin privé avec une petite dépendance qui servait au temps de la construction de clapier-poulailler entouré de grillage. Aujourd’hui encore, on y range les outils de jardin, certains y ont construit des petits appartements, des bureaux.
                                                                                                                             
Un terrain fut gardé pour y construire une « Goutte de lait », pavillon autour duquel serait organisé un jardin public. La « Goutte de lait » était un établissement public dédié au soin des nourrissons. En fait, sur le terrain de 5000 mètres carrés sera construit une Maison commune. Elle est en service jusqu’au début des années 1950. La Maison commune était un centre social qui avait pour objectif de faire bénéficier les habitants de la cité de services tels qu’une garderie et un dispensaire.

Paul Voisin, administrateur du Foyer Rémois, en fait une description détaillée: « Ce centre comprend trois parties : l’une pour le service d’aide aux mères, l’autre pour le service des soins aux malades et de prophylaxie antivénérienne, la troisième, pour les loisirs ».

Un journal est même publié à partir de 1933 pour relayer les différents évènement qui s’y passent. Le centre social ne justifiant plus son activité après la revente des pavillons, il est loué depuis 1945 par le Foyer Rémois aux Compagnons du Devoir qui y exposent certaines de leurs réalisations dans le parc.


 L'ancienne Maison commune, devenue la maison des compagnons du devoir de Reims


La cité-jardin des Trois-Fontaines est donc un succès ; la construction sous la charge de l’entreprise Léon Grosse s’est déroulée rapidement et un an et un mois après le début des travaux (février 1924) les maisons ont pu être habitées. Aucunes malfaçons, ni défaut n’ont été relevés et les logements rencontrent un succès rapide auprès des rémois ; pour les prix : « logement à deux chambres 103 francs, logement à 3 et 4 chambres 114 Francs, logement pour petit commerce ou artisans 135 Francs. Ce prix comprend toutes les charges mais non les consommations ».
Les logements sont attribués en priorité aux familles nombreuses et celles-ci bénéficient de réductions sur leur loyer à partir du quatrième enfant en-dessous de 16 ans ; les familles de 2 enfants étant rarement acceptées.

Selon la politique du Foyer Rémois qui souhaite favoriser l’accession à la propriété de logements sains et agréables, la société revend rapidement aux occupants les maisons.




Aujourd’hui, les maisons restées « dans leur jus » sont aujourd’hui extrêmement rares. Chaque habitant successif y est allé de son amélioration (modification des façades, des clôtures, extensions etc…). Les rues portent des noms de peintres de la Renaissance : Léonard de Vinci, Raphaël, Claude Lorrain, Nicolas Poussin… .
Mais le quartier Charles Arnould reste un quartier calme, un peu comme un petit village au sein de la grande ville de Reims, avec sa verdure, ses jardins. Les commerces d’antan ont disparu mais d’autres se sont installés. C’est un quartier idéalement situé puisqu’il est à 10 minutes à pied de la gare TGV de Reims, et qui est très bien desservi par les transports en commun. Le quartier reste prisé et conserve un charme particulier.





Si le sujet des cité jardins vous intéresse, je vous conseille de lire le mémoire de master 2 d’Elisabeth Génin : La conception des cites jardins à la francaise : 3 études de cas a reims, rédigé dans le cadre de son cursus Architecture et Histoire culturelle et sociale de l’architecture et de ses territoires de l’École Nationale Supérieure d’Architecture de Versailles.
Il y aussi le site internet : http://www.cite-jardin-reims.culture.fr/.

LLC

Commentaires

  1. Merci pour cet article bien documenté. J'ignorais l'histoire architecturale du quartier où j'ai mes racines...

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Merci Claire, je suis contente que l'article t'ait plu!

      Supprimer

Enregistrer un commentaire

Articles les plus consultés