Le 19 mai 2016, notre jour le plus long. Le jour où Monsieur A a été opéré.
Il est 8h15 le jeudi 19 mai 2016 lorsque
les infirmières viennent chercher Monsieur A pour le descendre au bloc. La nuit
a été calme. Je vous laisse imaginer la tristesse et l’état de stress. Il faut
prendre sur soi. Se convaincre qu’il ne pouvait pas rester comme ça, avec son
trou dans l’œsophage, se persuader que les chirurgiens savent ce qu’ils font,
et que tout va bien se passer.
Depuis sa naissance le 23 février,
86 jours se sont écoulés, le jour tant attendu est arrivé. Il est à la fois
source d’espérance car nous savons que l’opération est un pas en avant vers la
sortie de l’hôpital, mais également source d’angoisse et de douleur. Monsieur A
avait pris son rythme de croisière dans le service de chirurgie pédiatrique
pendant presque 2 mois. Malgré son alimentation par gastrostomie (directement
par l’estomac) et sa sonde d’aspiration, il avait repris des forces. Il avait
le droit à des promenades dans le service et s’éveillait. Alors, accepter de le
voir être à nouveau opéré, à nouveau mal, a été extrêmement dur à vivre.
Et comme à chaque passage au bloc depuis qu’il est né, j’ai cette
impression qu’on m’arrache mon bébé, une nouvelle fois. Et ça a commencé le
jour de sa naissance, où j’ai pu à peine le voir 1 seconde (j’étais déjà
préparée à cette séparation à la naissance car Mesdemoiselles C et T étaient
elles aussi nées par césarienne).
Prendre sur soi. La seule chose qui m’a aidée dans ces moments difficiles,
c’est de continuer à lui parler, comme de la télépathie. Rentrer en
communication spirituelle avec mon fils, ça parait un peu fou comme ça, surtout
pour quelqu’un de cartésien comme moi. Lui expliquer que ça allait bien se
passer, qu’il fallait qu’il s’accroche car nous avions encore tellement de
choses à vivre tous ensemble. Lui parler
de ses sœurs, de sa chambre, des vacances, de ce qu’on va faire quand il sera
rentré à la maison.
A chacun sa manière de surmonter ces épreuves.
Les
chirurgiens vont pratiquer une anastomose : c’est un acte chirurgical qui
consiste à suturer (coudre) les extrémités de deux organes. L’opération se fait
sous anesthésie générale. Le chirurgien va faire une ouverture de quelques centimètres
au niveau du côté droit de la poitrine de Monsieur A, sous l’aisselle à peu
près. Ca s’appelle une thoracotomie. Puis il va tirer sur les 2 extrémités de l’œsophage les disséquer,
puis les coudre pour les rassembler. C’est une opération très lourde, car elle
se situe à proximité des poumons et des voies respiratoires.
Nous sommes restés un peu dans sa
chambre, le temps de reprendre nos esprits. Nous avions dû vider sa chambre de
chirurgie pédiatrique pour laisser la place à un autre enfant car après
l’opération, nous avions été prévenus que Monsieur A allait rester quelques
temps en réanimation pédiatrique (URIP). Il a fallu enlever les dessins de ses
sœurs et de leurs copains de classe, les petites cartes reçues pour sa
naissance qui décoraient sa chambre, son mobile, ses jouets, ranger ses petites
affaires.
Nous savions que l’opération
allait durer au moins 4 heures. Sa chirurgienne était passée la veille nous
voir dans la chambre de Monsieur A.
Puis nous avons gagné la tant
redoutée salle des patiences… là où nous étions déjà lors de sa première opération
qui a failli lui couter la vie.
Les minutes et les heures
défilent mais il est hors de question pour moi de quitter l’hôpital, de
m’éloigner un peu de trop de cette salle.
Je veux être là quand mon fils va revenir de son opération. 4 heures passent,
sans nouvelles, puis 5 heures, puis 6 heures… . On nous informe qu’il va bientôt arriver. Il est
15 heures, nous voyons le brancard de Monsieur A passer la fameuse « porte
vitrée ».
S’écoulent encore 2 heures avant
qu’on nous autorise à rentrer. C’est long, pourquoi ne nous fait-on pas
rentrer ? L’équipe de réanimation pédiatrique est en train de le
« techniquer » comme ils disent dans leur jargon. Monsieur A est
installé dans sa chambre, perfusé, monitoré. Le souci, c’est que compte tenu de
la fragilité de son opération, il doit impérativement rester calme. La suture
est très tendue et trop d’agitation pourrait être dramatique. Mais c’est sans
compter sur la force impressionnante de Monsieur A, qui donne du fil à retordre
aux médecins. Nous apprendrons après que malgré des doses importantes de
sédation, il continue à s’agiter… . Il faut que les médecins adaptent le
traitement et les doses. Je dois avouer que même si cette situation n’avait
rien de réjouissant, le fait de savoir qu’il ne se laissait pas faire, me
rassurait, en quelque sorte.
Puis enfin, une infirmière vient
nous chercher. La vision de mon petit bout tuyauté de partout, avec une
respiration artificielle, est douloureuse. Il se bat, il ne faut pas flancher,
nous n’en avons pas le droit. Il est là, il vit, nous sommes auprès de lui. Un
peu de soulagement.
Monsieur A est intubé, ventilé.
Une machine l’aide à respirer. Dans l’autre narine, il a une sonde
transanastomotique qui sert de tuteur à son œsophage raccordé. Il a sa
gastrostomie qui sert à le nourrir, il a les mains liées et attachées aux
barreaux de son lit, pour ne pas tirer sur ses tuyaux. Il est
« oedematié », c'est-à-dire gonflé par tous les produits qui lui ont
été injectés pendant l’intervention. On
a du mal à retrouver ses traits.
Il a également un drain
thoracique. Ca sert à évacuer ce qui s’est accumulé pendant l’opération (un deuxième drain lui sera posé quelques
jours plus tard pour ses problèmes pulmonaires).
Il a un cathéter dans la jugulaire,
ça s’appelle une voie veineuse centrale, là où vont passer toutes les
perfusions. Sur la photo ce sont tous les tuyaux que l’on voit sur la droite.
Il est sous Oramorph, c’est de la
morphine, sous kétamine c’est un puissant anesthésique et antalgique, sous Nubain, analgésique aussi puissant que la
morphine, sous antibioques pour limiter les risques d’infection (ce qui ne
suffira pas dans son cas).
Pour lui apporter un peu de
« confort », les infirmières le placent sur un matelas anti escarres,
sa température est basse, alors on lui met une couverture chauffante. Nous ne
devons pas trop le solliciter, il doit se reposer et rester calme. J’ai quand
même le droit de le masser légèrement sur les pieds. Je lutte contre moi-même
pour ne pas penser au pire.
Les résultats de la prise de sang
de Monsieur A sont mauvais, il doit être transfusé. Même si ça ressemble à une
perfusion comme une autre, psychologiquement, on a l’impression de franchir un
cap. Monsieur A est du groupe O, il est donneur universel mais ne peut recevoir
que de son groupe. Je pense à ces personnes qui donnent généreusement leur sang
et à celle qui sauve mon fils.
Les suites de l’opération ont été
très compliquées pour Monsieur A. Je reste auprès de mon bébé le plus possible.
Il sait que je suis là.
Le jour de ses 3 mois, nous
avions une petite surprise qui nous attendait dans son lit : une photo de
Monsieur A et l’emprunte de ses pieds réalisées par l’adorable infirmière de
nuit.
Le jour de la fête des mères, une
association offrait à toutes les mamans du service une petite couverture faite
main accompagnée d’un petit mot « bonne fête maman ». Touchante
attention. Même avec un enfant hospitalisé, nous n’en restons pas moins des
mamans. Jour pénible où j’ai du montrer ma joie devant les cadeaux et poèmes
des grandes sœurs de Monsieur A mais avec un bonheur incomplet, une partie de
moi auprès de mon bout de chou hospitalisé.
Je vous avais déjà expliqué qu’on
perd la notion du temps dans le service de réanimation pédiatrique. De jours en
jours, à l’affût de la moindre amélioration, d’un tuyau en moins, d’un résultat
d’analyse satisfaisant, puis une rechute, toujours plus difficile à accepter.
Melle C et Melle T veillent sur leur petit frère
Et puis d’un coup tout s’accélère, les tuyaux sont enlevés un à un, les
perfusions diminuent et le chirurgien nous autorise à donner son premier
biberon à Monsieur A. Il avait 3 mois et demi et avait été opéré depuis 3
semaines. Un « drôle » de moment, inoubliable mais avec la peur que
quelque chose cloche : et s’il n’arrivait pas à avaler, et si l’opération
a raté, le lait va passer dans les poumons, et si Monsieur A s’étouffait, et
si….; il m’a fallu toute l’aide de Monsieur C, des infirmières, de la
psychomotricienne de Monsieur A pour me faire dépasser mes appréhensions.
L’état de Monsieur A a continué à
s’améliorer. Il est sorti de l’hôpital « officiellement » le 4
juillet.
Tout n’a pas été résolu d’un coup
de baguette magique depuis son retour à la maison mais aujourd’hui, 1 an après,
Monsieur A est en excellente forme. Ces lignes sont difficiles à écrire car lorsqu’on
le voit maintenant, on ne peut pas soupçonner un seul instant un début de vie
qui ne tenait qu’à un fil. Il y a des choses qu’on préférerait oublier pour enfin
vivre heureux. Mais une autre partie de moi me dit de garder en mémoire ces
épreuves car elles constituent l’histoire de Monsieur A. Un jour, il aura
certainement des questions, il faudra être en mesure de lui répondre.
J’ai également espoir que mon
témoignage puisse aider des familles qui passeraient par là. Nos enfants sont
des combattants, il faut leur faire confiance, ils sont extrA Ordinaires.
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